đđ MĂTAMORPHOSE DE LâOUBLI : lâancienne rĂ©sidence de Nathalie Baye et Johnny Hallyday en Creuse, 17 ans aprĂšs, devient un manoir oubliĂ© oĂč rĂšgne le silence pesant đïžđžïž
Creuse, France â Au cĆur dâune campagne silencieuse, bordĂ©e par les sapins et les nuages bas, se dresse encore la demeure autrefois chĂ©rie de Nathalie Baye et de Johnny Hallyday. Vendu il y a dix-sept ans, ce manoir, empreint de souvenirs et de mĂ©lodies, est aujourdâhui Ă la dĂ©rive. Un lieu chargĂ© dâhistoire, devenu un mausolĂ©e de matĂ©riaux fissurĂ©s et de fenĂȘtres occultĂ©es, qui soulĂšve une question lancinante : Ă quoi bon possĂ©der un trĂ©sor si lâon ne sait pas le protĂ©ger ?
I. Un joyau dâautrefois, aujourdâhui en pĂ©ril
Lâarchitecture impose encore sa silhouette : façades blanchies par les pluies, cheminĂ©es hautes comme pour inviter les Ăąmes Ă sâĂ©lever. Câest dans cette atmosphĂšre presque gothique que nous avons pĂ©nĂ©trĂ©, lors dâune visite qui glace autant quâelle attriste. DĂšs le portail â cadenassĂ©, rouillĂ© â le portail craque sous le vent, puis sâouvre sur une allĂ©e envahie par les herbes folles. Le carillon de fer, lui, rĂ©sonne comme un glas.
Ă lâintĂ©rieur, les boiseries sont gangrenĂ©es par lâhumiditĂ©. Le parquet flirte dangereusement avec le vide, ses lames gonflĂ©es ou brisĂ©es. Les fenĂȘtres, sans volets ou cassĂ©es, laissent entrer la pluie â glissante, verte, envahissante. Chaque piĂšce tĂ©moigne dâun luxe passĂ© : moulures, cheminĂ©es de marbre, hauts plafonds dĂ©corĂ©s. Mais le temps, alliĂ© Ă lâabandon, a transformĂ© les richesses en ruine. Les murs suintent, les toits fuient, les sculptures de pierre sâĂ©grĂšnent. Il y avait ici, jadis, la musique, les rires, la lumiĂšre. Aujourdâhui, il nây a que le silence et la dĂ©crĂ©pitude.
II. Histoire dâun patrimoine oubliĂ©
Câest en 2008 que la propriĂ©tĂ© avait officiellement changĂ© de mains, vendue aprĂšs des annĂ©es de vie faite dâart et dâĂ©motion. Mais depuis, rien ou presque. Aucune restauration, aucun entretien sĂ©rieux. Les anciens tĂ©moins â les voisins, les employĂ©s, les promeneurs curieux â rapportent une lente agonie : toiture percĂ©e, gouttiĂšres Ă©ventrĂ©es, lierre envahissant, façade craquelĂ©e.
Ce manoir fut non seulement le refuge dâun couple mythique du patrimoine culturel français, mais aussi le creuset de crĂ©ations, de confidences, dâamours tarifĂ©es par la passion et les projecteurs. Johnny Hallyday y aimait ses nuits pluvieuses, Nathalie Baye ses matinĂ©es de lectures, et tous deux le regard des Ă©toiles, Ă©loignĂ© des camĂ©ras. Aujourdâhui, leurs souvenirs flottent comme des spectres dans chaque recoin.
III. LâindiffĂ©rence comme complice du dĂ©clin
Mais comment en est-on arrivĂ© lĂ ? Pourquoi une demeure si prestigieuse a-t-elle Ă©tĂ© si longtemps laissĂ©e Ă lâabandon ? Aucune rĂ©ponse simple Ă cette question. PropriĂ©taires absents, prioritĂ©s qui changent, budget trop Ă©levĂ© pour un retour sur investissement nul : les arguments sâaccumulent. Certains prĂ©tendent que le coĂ»t de rĂ©novation est devenu prohibitif â isolation, charpente, restauration de lâescalier monumental, menuiseries anciennes. Dâautres dĂ©noncent lâabsence de volontĂ© collective : ni mairie, ni dĂ©partement, ni RĂ©gion ne semblent avoir encore pris Ă bras-le-corps le dossier.
Aujourdâhui, lâeffondrement menace : plafond qui s’effrite, poutres vermoulues, murs qui sâĂ©croulent. Le domaine pourrait trĂšs bien devenir â tĂŽt ou tard â un amas de gravats, un souvenir pliĂ© sous les exigences du temps. Et dans ce vide, lâindiffĂ©rence retentit plus fort que les gouttes de pluie infiltrĂ©es.
IV. TĂ©moignages dâune douleur patrimoniale
« Câest un crĂšve-cĆur », confie une voisine octogĂ©naire, assise au pas de sa porte. « Jâai vu Nathalie, Johnny, leurs rires. Jâai vu lâespoir que ce lieu respire encore. Aujourdâhui, ce nâest que fracas et poussiĂšre. » Un ancien jardinier sâavance, les yeux rouges : « Les serres oĂč fleurissaient les roses anglaises sont dĂ©truites. Je ne reconnais plus la lumiĂšre dâantan. »
Les associations de dĂ©fense du patrimoine sont alertĂ©es depuis des annĂ©es. Elles rĂ©clament des mesures dâurgence. « Il est encore temps de sauver ce quâil reste », disent-elles. Elles proposent un plan : diagnostic global, protection de toiture, reconstitution des vitraux, ouverture au public partielle. Mais le retour sur investissement culturel est intangible, souvent mĂ©prisĂ©, dans un monde qui prĂ©fĂšre les gratte-ciel aux manoirs.
V. Vers un avenir incertain
Alors que se profilent des Ă©lections locales, quelques Ă©lus commencent Ă entrevoir lâurgence : sauver ce manoir, câest aussi sauvegarder un fragment de mĂ©moire collective, une page vivante de la culture française. Certains suggĂšrent la classification en monument historique, ou encore lâattribution Ă une fondation culturelle qui pourrait lever des fonds. Mais chaque dĂ©marche bute sur des freins : propriĂ©tĂ© privĂ©e, droits de succession, coĂ»t exorbitant des assurances.
Le dilemme reste entier : laisser le temps faire son Ćuvre destructrice ou agir vite pour redonner Ă ce lieu sa grandeur dâavant, au moins dans sa dignitĂ©. Mais pour cela, il faut de la volontĂ© â politique, associative, citoyenne â et lâamour dâun patrimoine souvent bĂąti par des artistes, mais dĂ©truit par lâindiffĂ©rence.
Conclusion : Le manoir de Nathalie Baye et Johnny Hallyday en Creuse incarne aujourdâhui une mĂ©taphore poignante : celle de la mĂ©moire abandonnĂ©e. Il nous rappelle que possĂ©der une histoire sans la prĂ©server, câest dĂ©jĂ accepter quâelle sâefface. Si le cĆur de ce lieu bat encore sous les pierres fissurĂ©es, il attend quâon lui offre un souffle â non pour revivre comme hier, mais pour ne pas devenir cendres. Et dans ce silence, nous avons tous notre version de responsabilitĂ© â celle de tĂ©moigner, de se soucier, avant que lâoubli ne soit irrĂ©versible.