La mythique actrice italienne Claudia Cardinale est décédée à l’âge de 87 ans

La mythique actrice italienne Claudia Cardinale est décédée à l’âge de 87 ans

DISPARITION – L’actrice fétiche de Visconti et de Fellini, partenaire des plus grands acteurs du XXe siècle, de Burt Lancaster à Alain Delon, Henry Fonda, Jean-Paul Belmondo ou Marcello Mastroianni, s’est éteinte en région parisienne.

Comment ne pas souscrire au conseil de Jason Robards, alias Cheyenne dans Il était une fois dans l’ouest de Sergio Leone ? S’adressant à la solaire Claudia Cardinale, le sympathique bandit qui s’apprête à mourir une balle dans le ventre lui dit : « Tu ne te rends pas compte de ce qu’un homme peut avoir de plaisir à regarder une fille comme toi. Rien que la regarder… Et si l’un d’eux s’avise de te pincer les fesses, fais comme si ce n’était pas tellement grave: il sera heureux .»

Et qu’on a été heureux avec ces yeux noirs, peut-être les plus sensuels du septième art. En 1968, Claudia Cardinale débarque dans ce film en sex-symbol accompli, un petit chapeau retenant mal les boucles rebelles d’un épais chignon et une longue robe à dentelles battant au vent. Les violons d’Ennio Morricone s’envolent. Elle apporte la civilisation. Elle en est la déesse. Non vraiment, cette brune, qui vient de s’éteindre à 87 ans auprès de ses enfants, à son domicile de Nemours, près de Paris, ne comptait pas pour des prunes. Même face à sa rivale blonde Brigitte Bardot dans Les Pétroleuses (1971) un navet complaisant, western spaghetti signé Christian-Jaque, elle faisait jeu égal.


En mai 1963 pour la présentation du film Otto e mezzo de Fellini au festival du film de Cannes. STF / AFP

La production était franco-italienne, comme elle: une parfaite Méditerranéenne au point qu’on la surnommait enfant « la Berbère ». Et bien vite elle fut « la fiancée de l’Italie ». De grands-parents paternels et maternels siciliens, Claude Joséphine Rose Cardinale voit le jour le 15 avril 1938 à Tunis alors encore sous protectorat français. Son père y est ingénieur aux chemins de fer. Aînée d’une fratrie de quatre enfants, elle se gorge d’abord de soleil en enfant sauvage, intrépide et farouche comme un garçon manqué, ayant tout donc pour être heureuse. Mais elle commencera surtout sa vie en victime, avant de la terminer en triomphatrice.

En 1957 elle est victime d’un viol. De ce traumatisme longtemps caché est né un enfant, Patrick, lequel ne devra pas entraver la carrière qui s’annonce. Car depuis que la jeune fille a gagné le concours de La Plus Belle Italienne de Tunis organisé par l’office du cinéma italien et que, grâce à lui, elle a été invitée en touriste à la Mostra de Venise, les objectifs ont eu tôt fait de se focaliser sur elle. « Claudia! Claudia! », les paparazzi hèlent cette fraîche bimbo sur la Lagune, dans son bikini confectionné par maman. Le prénom est resté.

Une première caméra, celle tenue par Mario Monicelli, avait bien commencé à l’éclairer du temps où elle était encore lycéenne. Mlle Cardinale avait bénéficié d’une apparition dans l’hilarant Le Pigeon avec Vittorio Gassman, Marcello Mastroianni et Totò, long-métrage qui a fixé les codes de la comédie à l’italienne. Mais, aussitôt fait, la belle enfant était sagement retournée à ses études et à un avenir anonyme d’institutrice dans quelque école du sud tunisien.


Jean-Paul Belmondo et Claudia Cardinale en 1972. Olycom/ABACA

Cannes, millésime 1961. Cette fois elle donne la réplique à Jacques Perrin, Gian Maria Volontè et Jean-Paul Belmondo dans les deux films italiens en compétition. Quatre ans auparavant à Rome son examen au Centre expérimental du cinéma s’est bien déroulé, même si elle ne possède encore que sommairement la langue de Dante ( «prix tempérament»). Le septième art est désormais une option sérieuse pour la famille Cardinale émigrée d’une Tunisie de plus en plus nationaliste. Ses décolletés généreux, un aplomb naturel et aussi une voix un brin éraillée (qu’elle n’aimera jamais) font mouche. Le statut de star est pérennisé, occultant celui de mère-célibataire.

Regard de braise

Star, elle l’est en effet depuis quatorze tournages, cornaquée par un producteur fol amoureux, Franco Cristaldi (son époux de 1966 à 1975 et qui la contrôlait alors ainsi que toute l’industrie cinématographique italienne). Parmi ces premières œuvres saillent des classiques tels qu’Austerlitz d’Abel Gance où elle incarne la piquante Pauline Bonaparte, et surtout Rocco et ses frères de Luchino Visconti (1960) où elle n’a en vérité qu’un tout petit rôle. Mais elle a mêlé ses étincelles à celles d’Alain Delon. Même intensité, même regard de braise… « Surtout restez toujours comme vous êtes » lui dit le critique François Chalais. « Le temps ne passe pas sur toi », constatera onze ans plus tard Lino Ventura dans Le Ruffian.

C’est en 1961 aussi que le grand écrivain Alberto Moravia (auteur notamment du Mépris qui sera adapté deux ans plus tard par Jean-Luc Godard) la rencontre. Il lui offre plus qu’une interview, un dialogue intense sur le corps chosifié et la beauté. Le livre s’arrachera. Les aînées Gina Lollobrigida et Sophia Loren n’ont qu’à bien se tenir…

Succès populaire garanti l’année suivante avec le duo Cardinal/Belmondo dans le virevoltant Cartouche signé Philippe de Broca. Puis triomphe absolu en 1963 où elle est à l’affiche du Guépard (à nouveau Visconti et Delon plus Burt Lancaster et donc Palme d’or), du chef-d’œuvre de Federico Fellini Huit et Demi (où elle est l’archétype de la star et donc elle-même, s’exprimant sur ordre du maestro, pour la première fois, dans un italien non doublé quitte à avoir l’accent français) et de La Panthère Rose de Blake Edwards.

Dans ce qui est son premier film américain, elle côtoie les excentriques Peter Sellers et David Niven. Sur le plateau, ce dernier la gratifie d’un compliment qu’elle n’oubliera jamais: « Claudia, avec les spaghettis, tu es la plus belle invention des Italiens ! ».

Les perles se succèdent, la filmographie formant dès lors un collier exceptionnel. 1964: elle est dans Le Plus Grand Cirque du monde de Henry Hathaway, entre Rita Hayworth et John Wayne. 1965: retour à Visconti avec Sandra (il y aura aussi, neuf ans plus tard, Violence et passion). 1966: elle retrouve Burt Lancaster dans Les Professionnels, western de Richard Brooks avec un quarteron de six-coups de premier ordre, Jack Palance, Lee Marvin, Robert Ryan… Plus modeste, mais aussi plus âpre et brûlant, sicilien en somme, La Mafia fait la loi est réalisé aux côtés des excellents Lee J. Cobb et Serge Reggiani par Damiano Damiani. C’est l’époque où elle se trouve suffisamment établie pour avouer publiquement, par voie de presse, que Patrick n’est pas son petit frère comme elle le présentait jusque-là, mais son fils. Qui plus est secrètement adopté par Franco Cristaldi.


Claudia Cardinale dans Le Plus Grand Cirque du monde, avec John Smith, John Wayne et Rita Hayworth. / Bridgeman Images

Sur un ton bien plus léger et, cette fois, traitant de la pègre marseillaise, La Scoumoune de José Giovanni avec Gérard Depardieu, Michel Constantin et Michel Peyrelon, est l’occasion d’une retrouvaille avec « Bébel », et d’une flamboyante teinture rousse, en 1972. Le couple, complice en blagues, retravaillera encore ensemble une décennie plus tard, à l’occasion du Ruffian.

Tournages italiens, français, américains se succèdent sans mal. La torride Claudia est une valeur sûre. Le public comme les cinéphiles l’adorent. Alors elle se laisse un peu aller. Elle tâte du disco en 1977 avec quelques titres oubliables, s’étant mieux tirée d’affaire initialement dans la chanson (en anglais) La fille de la prairie, bande-son des Pétroleuses composée par Francis Lai.

Côté vie privée, elle est la compagne de 1974 à 2011 du réalisateur Pasquale Squitieri avec lequel elle a une fille, Claudia. Squitieri, décédé en 2017, aura été l’homme de sa vie. Cela même si elle fut tant et ardemment courtisée, de Marlon Brando à Mastroianni en passant par tous les présidents de la Cinquième. « Chirac aussi, je connaissais sa famille, on était très amis au point que certains ont même écrit des absurdités », a-t-elle commenté. Manière de couper court aux rumeurs insistantes…

En 1981 la voilà dans la jungle avec l’incontrôlable Klaus Kinski sur le tournage catastrophique de Fitzcarraldo de Werner Herzog. Encore une réussite finalement, bien qu’à 44 ans sa carrière, au départ lancée comme une fusée promotionnelle, commence seulement à décliner. Relevons par la suite au sein de cette carrière en plus 150 films (sans compter les nombreuses fictions télévisées) le Mayrig d’Henri Verneuil (1991) sur le thème de l’immigration, avec un Omar Sharifen vieux complice (depuis Goha de Jacques Baratier en 1958, une coproduction franco-tunisienne) et qu’elle croisera encore sur 588, rue Paradis. Hommages et récompenses tombent en avalanche désormais. 1993 : Lion d’or à la Mostra de Venise pour l’ensemble de l’œuvre. Ours d’or d’honneur à Berlin en 2002… L’entrée dans le deuxième millénaire l’a vue plus volontiers au théâtre, servant Tennessee Williams ou Alberto Moravia.

Femme engagée

En 2004, son ami Jacques Chirac la fait nommer présidente du comité pour la panthéonisation de George Sand, un projet finalement non réalisé. Une autographie Mes étoiles sort dans la foulée chez Michel Lafon, tandis qu’elle choisit de s’éloigner des plateaux. En 2020 Olivier Marchal l’a tout de même convaincue de jouer la mama d’un clan dans Bronx sorti sur Netflix. Mais elle rechignait à interpréter les grands-mères. Elle se préférait dansant sur un toit de Rome, comme sur la photographie choisie pour l’affiche du 70e anniversaire du Festival Cannes. Les organisateurs de cette édition 2017 estimant tenir là une image idéale de « la joie, la liberté et l’audace ».


Claudia Cardinale au Festival de Cannes en 2018. Genin Nicolas/ABACA

En 2023, la fondation Claudia Cardinale est créée dans le but d’aider de jeunes artistes à faire carrière. Car l’actrice était également une femme engagée: «ambassadrice de bonne volonté» à l’Unesco, militante contre la myopathie, le sida. Elle se trouvait aux côtés de Rock Hudson à Paris lorsque celui-ci est mort de cette maladie. «C’était grand ami homo, avec qui je me baladais bras dessus bras dessous pour faire croire à une romance, car être pédé dans le cinéma pouvait alors stopper votre carrière », résumait-elle. Claudia Cardinale a aussi soutenu Amnesty International, les enfants du Cambodge, combattu les violences faites aux femmes, le saccage de la nature, et même les dérives de la chirurgie esthétique. Elle n’a jamais eu recours au scalpel ou aux produits. Il est vrai qu’en ce qui la concernait, son sourire éblouissant faisait immédiatement disparaître les marques de l’âge. Elle disait aussi que Visconti lui avait appris à aimer ses rides en la forçant à froncer ses sourcils.

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