Salut Les Musclés (1989–1994) : Un par un, ils s’en vont – Le groupe s’est séparé
Il est des génériques qui, dès les premières notes, ont le pouvoir de nous ramener des décennies en arrière, à une époque où le monde semblait plus simple, contenu entre le goûter et le début des dessins animés. Celui de “Salut Les Musclés” est de cette trempe. Pour toute une génération, la “génération Club Dorothée”, cette sitcom était bien plus qu’un simple programme télévisé. C’était un rituel, un rendez-vous immanquable avec une bande de grands enfants attachants, dont les aventures rocambolesques et les chansons entêtantes ont façonné une partie de notre imaginaire collectif. Mais que se cache-t-il derrière la façade colorée de ce studio des années 90 ? Trente ans plus tard, alors que la nostalgie bat son plein, lever le voile sur le destin de ses protagonistes révèle une histoire bien plus complexe, une fresque humaine où la gloire et les rires côtoient la maladie, l’oubli et la mort.
Souvenons-nous. Nous sommes en 1989. AB Productions est une machine à succès et lance sur TF1 une sitcom centrée sur un groupe de musique bien réel : Les Musclés. Bernard Minet à la batterie, René Morizur au saxophone, Éric Bouad à la basse, Rémy Sarrazin également à la basse et le charismatique Claude Chamboisier, alias Framboisier, au chant et au clavier. Leur appartement devient le théâtre de situations plus loufoques les unes que les autres, souvent provoquées par des personnages secondaires devenus cultes, comme la sublime extraterrestre Hilguegue, jouée par Babsie Steger, ou la nièce de Minet, la jeune Valériane. Le succès est fulgurant. La série, avec sa bonne humeur communicative et son humour bon enfant, devient un pilier de la programmation jeunesse. Les Musclés ne sont plus seulement les musiciens de Dorothée ; ils sont des stars à part entière, des figures familières et rassurantes pour des millions d’enfants.Le temps, cependant, est un réalisateur impitoyable. Il ne s’arrête jamais de tourner et finit toujours par réécrire les plus beaux scénarios. Aujourd’hui, que sont devenus nos héros ? Pour certains, la vie a suivi son cours, loin des projecteurs aveuglants de leur jeunesse. Bernard Wantier, l’inoubliable Minet, aujourd’hui âgé de 72 ans, a continué sa carrière musicale, surfant avec intelligence sur la vague nostalgique en redonnant vie aux génériques des dessins animés de notre enfance. Éric Bouad et Rémy Sarrazin, plus discrets, ont poursuivi leur passion pour la musique dans l’ombre. Babsie Steger, notre Hilguegue venue de Vega, a quant à elle embrassé une carrière d’animatrice et de coach en bien-être, prouvant qu’il y avait une vie après les sitcoms AB.Mais pour d’autres, le destin a été infiniment plus cruel. La joyeuse bande a été frappée par le deuil, et ce, bien plus tôt qu’on ne l’aurait imaginé. La première ombre au tableau survient dès 1996, avec la disparition tragique de Véronique Moest, qui incarnait la petite amie de Minet, Catherine. Emportée par une mucoviscidose à l’âge de 31 ans, sa mort jette une lumière crue et terrible sur la fragilité de l’existence, un contraste saisissant avec l’insouciance affichée à l’écran. Sa disparition, survenue peu après la fin de la série, a été un premier rappel douloureux que derrière les personnages se trouvaient de vraies personnes, avec leurs propres combats.
En 2009, le groupe perd l’un de ses piliers. René Morizur, le saxophoniste à la moustache et à l’air débonnaire, s’éteint à 65 ans des suites d’une rupture d’anévrisme. Son départ laisse un vide immense au sein de la formation, mais aussi dans le cœur des fans. René, c’était la touche de folie douce, le musicien passionné dont le son du saxophone était indissociable de l’identité du groupe.Le coup de grâce, celui qui a véritablement brisé le cœur de toute une génération, survient le 4 janvier 2015. Claude Chamboisier, notre Framboisier national, le leader, le chanteur à la voix reconnaissable entre mille, est emporté par un cancer du pancréas à l’âge de 64 ans. La nouvelle a l’effet d’une bombe. Comment imaginer Les Musclés sans leur figure de proue, sans ce sourire malicieux qui avait accompagné nos fins d’après-midi ? Sa mort a symbolisé la fin définitive d’une époque. Avec lui, c’est une part de l’innocence de millions d’enfants des années 90 qui s’envolait pour de bon. Le groupe ne serait plus jamais le même.La liste des disparus s’allonge tristement avec le temps. Marcel Philippot, qui jouait le désopilant et maniéré “Le Mage”, nous a quittés en 2018. Chacun de ces départs a un peu plus effrité l’image joyeuse et indestructible que nous gardions de la série.
Revoir “Salut Les Musclés” aujourd’hui est une expérience étrange, douce-amère. Les gags fonctionnent toujours, la musique nous fait encore taper du pied, mais notre regard a changé. Nous ne voyons plus seulement des personnages, mais des fantômes bienveillants. Nous rions en sachant que certains de ces visages souriants ont été vaincus par la maladie. Nous fredonnons en sachant que certaines de ces voix se sont tues à jamais. C’est là toute la puissance et la cruauté de la télévision : elle grave des moments d’éternité, créant des souvenirs impérissables qui se heurtent violemment à la réalité du temps qui passe.L’héritage de “Salut Les Musclés” est donc double. Il y a d’un côté la mémoire collective d’une période d’insouciance, un patrimoine de la culture populaire française qui continue de faire sourire. Et de l’autre, une histoire humaine poignante, celle d’une bande d’amis qui ont connu la gloire avant d’être confrontés aux épreuves les plus difficiles de la vie. Leur parcours nous rappelle que la célébrité n’est qu’une parenthèse et que, lorsque les caméras s’éteignent, chaque artiste redevient un homme, avec sa force et ses faiblesses, face à un destin que personne ne peut contrôler. Trente ans après, les rires se sont mêlés aux larmes, mais une chose est sûre : nous n’oublierons jamais nos Musclés.